Ce cher mois d'août
Réalisé par Miguel Gomes
La libre hybridation du documentaire et de la fiction serait-elle une spécialité portugaise ? De Paulo Rocha à Pedro Costa en passant par Antonio Reis, travailler sans étiquette semble constituer une tradition locale. Ce cher mois d'août s'y inscrit avec panache. Miguel Gomez n'habite pas la même région du cinéma que Rousseau, Creton ou Costa. Son film aurait dû être une pleine fiction, avec scénario dialogué, mélange d'acteurs confirmés et de comédiens non-professionnels, tournage selon un mode de production conventionnel: entre traditions locales et bals populaires, un mélodrame familial dans un coin de campagne portugaise. Quant tout autre cinéaste aurait attendu de réunir les conditions idéales pour réaliser son projet, Gomez a su tirer parti des difficultés de production pour conquérir une liberté imprévue. N'ayant pas trouvé les comédiens pour interpréter les rôles, il met de côté le scénario et, profitant de cette vacance estivale de la production, accumule fragments documentaires et saynètes improvisées avec l'équipe du film et les habitants de l'Arganil. L'été suivant, son casting complété, il tourne les scènes de fiction d'un scénario réécrit en fonction du premier tournage. Reste à agencer, au montage, ce matériau hétérogène et lacunaire. Gomez a l'intelligence de ne pas chercher à boucher les trous, de trouver la forme d'un acheminement vers la fiction. Pour le spectateur, c'est le plaisir rare d'un film qui expose le spectacle de sa propre métamorphose : la conversion à vue d'une fantaisie ethnographique en mélodrame lacrymal. Pour ceux qui ne seraient pas convaincus de la justesse de la thèse de Rancière, Ce cher mois d'août a d'implacables vertus pédagogiques : la conversion fait précisément passer du régime esthétique d'agencement des signes au régime poétique d'enchaînement des actions.