"Le vent s'est levé pendant la nuit et il a emporté nos plans" (John Berger, sur la pauvreté), c’est l’exergue qui ouvre ce film, un travail patient de plasticien sur les rêves qui ne vont nulle part : le musée et la mémoire collective du peuple yougoslave (une utopie qui n’a jamais dépassé le sous-sol), l'architecture de Belgrade d'aujourd'hui, ceux des trois personnages, et ceux du réalisateur, dans une société modelée par le capitalisme sauvage. Pour les trois femmes qui vivent dans l’ultraprécarité, mais aussi pour Keča, c’est une série incessante de départs et d'arrêts ; on est constamment en train de faire des plans qui ne vont nulle part : chaque jour, toute l’idée qu'on a de la vie change. On arrive avec la caméra et tout ce qu’on avait prévu de faire ne se produit pas, tout simplement.
Keča filme souvent les femmes pendant les périodes longues d'attente et crée une ambiance éphémère en les représentant à travers les saisons, les espaces et les heures de la journée. Il s’agit d’un exposé captivant qui soulève des questions sur l’éthique d’intervenir (ou non) dans la vie de personnes qui luttent pour s’en sortir. Utilisant judicieusement les longs plans, l’immobilité et le silence, le film est une méditation réfléchie sur l’itinérance et la survie. Ni objectivant ni sentimentalisant les histoires de Milica, Vera et Mara, le film est un regard franc sur la vie en marge.