Le couloir de Latchin est un col de montagne offrant l'accès le plus court entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie. Ce couloir truffé de mines anti-personnelles est un corridor de la mort pour le Haut-Karabagh qui a lutté entre 1988 et 1994 pour une indépendance que lui dispute encore le voisin azerbaïdjanais. Dans cette zone grise opère un groupe de femmes dont les activités de déminage sont des gestes de soin dédiés à une terre endolorie.
L'approche documentaire est anti-spectaculaire au possible, à l'opposé des montées d'adrénaline virile d'un blockbuster comme Démineurs de Kathryn Bigelow. Insidieux , imprévisible, le spectre de la mort recouvre une maigre forêt d'automne d'un linceul de cendres. Déminer consiste à localiser, à voir ce qui résiste à la perception : faire un cadre nécessaire à faire remonter dans le visible ce qui mortellement s'y soustrait devient l'affaire partagée du déminage et du cinéma. Dans ce terrain miné, les démineuses sont les soignantes d'une terre contaminée. Les avatars féminins du stalker tarkovskien progressent avec mesure dans une autre zone de suspension entre le temps de la guerre et celui de l'après-guerre, d'indistinction entre la nature souveraine et sa profonde altération humaine. Pas d'explication ni de commentaire : Nothing to Be Afraid of documente les gestes du travail, simples ou complexes, qui font déboucher le couloir de la mort sur un col donnant sur la vie. Seule la blague du dragon éclaire subtilement ce qu'il en est d'encourir sa vie au contact d'un monstre cracheur de feu, qui a une aile massive pour le terrain miné et une autre plus diffuse pour la hiérarchie masculine. Alors le travail des démineuses s'expose comme un mystère : un rituel de conjuration de la mort, autrement dit de célébration de la vie. Tantôt elles sont des faiseuses d'anges (elles font passer l'indésirable), tantôt des accoucheuses (elles sauvent des vies). Un terrible paradoxe consiste à admettre que leur beauté se mesure à chaque instant, seconde voire photogramme, où elles travaillent avec patience et rigueur à localiser le point critique du désastre à désamorcer, tout en préservant discrètement le secret qui les anime en travaillant. Un sourire constamment échangé en redonne jusqu'à la fin du film l'émouvante signature, tragiquement de toute beauté.