Fotbal Infinit

De football, il est peu question dans ce deuxième film documentaire (après Match retour en 2013) de Corneliu Porumboiu. Le subtil réalisateur roumain, lui-même fanatique du ballon rond, accepte de rencontrer Laurentiu Ginghina, obscur fonctionnaire roumain qui rêvait de partir aux Etats-Unis et qui porte en lui le désespoir d’avoir été privé par un accident d’une carrière sportive prometteuse. Pourquoi (horreur) s’attaque-t-il au football qui jouit d’une vénération planétaire ? Hanté par son échec, Laurentiu consacre tout son temps libre à mettre au point des stratégies post-footballistiques improbables avec une application obsessionnelle. Son but, son graal : que seul le ballon évolue librement sur le terrain, tandis que les joueurs restent confinés dans les zones qui leur sont dévolues. Un sport moins agressif, mais bridé et très peu spectaculaire, comme le montre l’essai en salle totalement raté, organisé avec la complicité un peu forcée de l’équipe de foot locale. Les jours ouvrables, Laurentiu troque son jogging et son tableau noir pour un costume-cravate et un bureau pavoisé du drapeau national. C’est là, qu’il reçoit ou refoule les doléances des citoyens englués dans un système bureaucratique et inopérant. De presque tous les plans, Porumboiu écoute Laurenriu dérouler ses fantasmes mêlés de propos très lucides sur son pays. Ce déclassé, qui porte en lui toutes les déceptions des Roumains vis-à-vis de l’union européenne comme de leur propre administration, est enfin devenu, le temps d’un film, un héros dont l’histoire pourra faire le tour du monde des salles de cinéma. Ce n’est que justice, semble nous dire le cinéaste, qui ouvre devant son personnage une route baignée de lumière (magnifique plan final) vers une reconnaissance salvatrice.