De la médiathèque à la médiation, de la collection aux publics, de la chronologie des médias au remix… Quelle place pour le cinéma et l’image animée en médiathèque ?

Article rédigé par Charlotte Hénard de la bibliothèque de Toulouse pour le Médiathème "Du cinéma en bibliothèque" (2017), coédité par Images en bibliothèques et l'ABF.

Depuis les années soixante-dix, avec l’ouverture d’une collection de films proposés au public à la Bpi (1977), et grâce à une politique d’incitation de la DLL (1), le cinéma a pris sa place dans les bibliothèques publiques. Dans les grands établissements, caractérisés par des moyens importants, se sont succédé, ou empilés, une multiplicité de supports (U-Matic, Betamax, VHS...), jusqu’à la stabilisation du support DVD à la n des années quatre-vingt-dix, qui vit le cinéma s’installer largement dans les bibliothèques publiques du territoire, quelle que soit leur taille. Proposant d’autres supports que le livre, les bibliothèques devinrent des médiathèques. Les statistiques d’emprunts, augmentées par l’arrivée de nouveaux supports liés à la musique et au cinéma, permirent de consolider bilans annuels et tableaux de bord, justifiant budgets et programmation culturelle des médiathèques auprès de leurs tutelles. Film documentaire, film de fiction, film de création : les genres ont été immédiatement multiples et (presque) tous représentés dans les collections, pour un accès à l’œuvre et aux films.

Les débats furent vifs, et souvent idéologiques, autour des choix de poli- tique documentaire. Fallait-il opter pour un classement alphabétique par auteur ou par titre ? Ou un classement par genre ? Fallait-il « éduquer » le public en favorisant le cinéma d’auteur ? Ou bien proposer une grande diversité d’offre incluant block-busters et films de genre ? Développer des fonds spécialisés ou les intégrer dans les collections de livres ? Tandis que les professionnels s’écharpaient sur leurs missions (ceux qui ont connu la liste de discussion Biblio.fr s’en souviendront peut-être...), et quels que soient les choix opérés, le public était au rendez-vous. Les pratiques furent rapidement diversifiées : l’emprunt bien sûr, mais aussi la consultation sur place, ou encore les projections collectives. Et les publics y trouvèrent leur compte. Ils allaient au cinéma, au vidéoclub, et à la médiathèque. Et parfois – souvent – tout cela à la fois ! Désormais, en de nombreux points du territoire, les cinéphiles peuvent (re)découvrir en médiathèque les pépites introuvables de l’histoire du cinéma, les enfants y cherchent leur lm favori, les familles un lm à succès pour le week-end, ou les binge watchers leur série favorite : tous viennent satisfaire des envies de découverte, dans une culture plurielle et partagée.

À l’heure où les pratiques culturelles se diversifient et où l’accès aux images et aux œuvres se fait en ligne, quels sont les enjeux pour le cinéma et l’image animée (2) en bibliothèque aujourd’hui ? Les pratiques des publics sont plus éclectiques, peut-être plus volatiles aussi. Les médiathèques si elles souhaitent rester des lieux attractifs et fréquentés doivent prendre en compte ces usages et adapter leurs offres et leurs pratiques.

Avant toute chose, dans un contexte contraint depuis plusieurs années, il convient de rappeler l’importance de la formalisation des objectifs. Il est impératif de définir explicitement la culture cinématographique et l’accès à l’image comme un axe majeur dans les projets d’établissement, au même titre que la littérature et les grands domaines du savoir; d’en formaliser la politique documentaire et culturelle, et de rendre ces volontés politiques lisibles par les publics par une valorisation explicite de l’offre. La question des coûts et des budgets étant indépassable, le cas échéant, on saura s’appuyer sur la complémentarité à l’échelle d’un territoire pour permettre une diversité de l’offre, et compenser ainsi des effets de seuil ou les baisses budgétaires. Plus que jamais, la diversification de l’offre de contenus est un enjeu : il s’agit à la fois de favoriser l’accès à la culture cinématographique (La longue traîne (3)) et de permettre l’accès à l’entertainment, sans jugement de valeur et sans opposer ces deux axes qui s’enrichissent l’un l’autre et constituent la culture cinématographique depuis toujours. La complémentarité des collections, combinant accès aux films et proposition d’une offre éditoriale consacrée au cinéma est aussi importante. Livres et revues sont une composante de cette culture de l’image, qu’il s’agisse de monographies, de livres théoriques et pratiques, de magazines ou de publications spécialisées, ne l’oublions pas.

L’accès élargi par et avec le numérique est bien sûr un axe majeur : après une période d’adaptation du marché, l’accès aux plates-formes de VOD (Video On Demand, ce vocable couramment utilisé par les publics et les plates-formes, que l’on préférera au francisé mais peu usité VàD) est un enjeu pour les médiathèques. La question des moyens est là aussi cruciale, et les offres actuelles restent onéreuses. Elles le sont d’autant plus que les accès à distance (via les portails des médiathèques) doivent être privilégiés, afin de s’adapter aux pratiques usuelles des publics en constante expansion. Mais c’est aussi à ce prix que les médiathèques sauront toucher de nouveaux publics et fidéliser leurs usagers. Saluons ici le travail remarquable opéré par la Bpi et l’ADAV par leur travail de diversification pour une valorisation de catalogues exigeants et accessibles.

La médiathèque, lieu social par excellence, doit favoriser et rendre confortable les usages individuels ou collectifs, encourager les visionnages à destination de tous les publics : aménager des espaces individuels ou partagés pour les consultations, proposer des assises confortables et adaptées – y compris avec des positions semiallongées -, disposer d’écrans multiples et diversifiés (ordinateurs, tablettes, téléviseurs, grands écrans…), etc. On rendra lisibles par tous les moyens, en synergie avec les collections, ces possibilités offertes d’accès aux images animées. C’est autour des usages collectifs que les évolutions sont aujourd’hui les plus significatives. Tous les nouveaux équipements incluent dans leur programme un auditorium équipé de grand écran. Le développement de projections publiques, pensées comme complémentaires et non concurrentielles à l’offre des salles des cinémas est essentiel pour l’accès à la culture de l’image. Les médiathèques proposent des espaces possibles de rencontre en sus et au-delà du simple visionnage, elles ont un rôle à jouer dans cet esprit du partage qui nous est cher et qui constitue une mission essentielle pour l’accès à la culture pour tous et chacun. De ce point de vue, si le respect de la législation sur les projections publiques en vigueur est un prérequis, on compte ou on espère que l’avenir permettra une prise en compte des missions des bibliothèques dans la législation sur le droit d’auteur vers des politiques d’assouplissement ou d’exception (droits d’auteur, projections publiques, chronologie des médias…) afin de préserver ou renforcer le droit des usagers à accéder aux oeuvres du patrimoine mondial, par l’entremise des établissements de proximité que sont les médiathèques.

Ces politiques culturelles volontaristes ont vu l’émergence de pratiques innovantes autour de l’image : dépassant les questions d’offre ou d’accès à la culture, de nombreux établissements proposent aussi à leurs usagers d’entrer dans l’âge du faire (4). Des ateliers de pratique autour de l’image sont proposés aux usagers désireux de comprendre les mécanismes du discours de l’image en le pratiquant eux-mêmes. Avec l’aide de professionnels (ou pas), dans ces ateliers, les publics expérimentent eux-mêmes la fabrication des images, la construction et le montage de films. Ces pratiques doivent beaucoup au numérique, et elles sont aussi liées à l’usage de plates-formes qui concentrent une grande partie de l’accès à la culture pour une part grandissante des publics (YouTube ou autres). Les publics sont désireux d’accéder aux outils et aux créateurs, mais aussi de créer eux-mêmes : tournages avec smartphones ou en stop-motion, pratiques de remix, découverte de logiciels, confection de booktube, utilisation des réseaux sociaux, l’éventail des possibles est immense.

Au-delà du cinéma, mais autour de l’image, par ces pratiques, les médiathèques doivent et peuvent jouer leur rôle dans le décryptage des médias et l’éducation à l’image, pour une visée moins pédagogique que citoyenne avec les usagers et non-usagers. À l’échelle du territoire, le travail avec les partenaires est un levier essentiel, voire un objectif. En s’ouvrant à des pratiques diversifiées, décentrées des collections, les médiathèques ont un rôle à jouer dans la mise en relation des publics entre et avec les acteurs locaux (cinémas, associations), les professionnels et les chercheurs ou spécialistes. En favorisant ces contacts, la médiathèque-plate-forme peut jouer un rôle déterminant au sein des communautés rassemblées par leur goût ou pratique du cinéma et des images. Au-delà des médiathèques publiques, d’autres problématiques sont à l’oeuvre : la consolidation et l’évolution au niveau national ou régional des établissements spécialisés (cinémathèques, centres de documentations spécialisés…) dont les missions de conservation et de diffusion, alliées aux impératifs de valorisation du patrimoine sont essentielles ; et bien sûr on soulignera l’action de partenaires naturels tels que l’INA, le CNC, l’ADAV ou Images en bibliothèques qui oeuvrent chacun à leur façon pour la diffusion, l’accès ou le partage de la culture de l’image.

L’état des lieux des pratiques et les réflexions présentés dans cet ouvrage ont pour vocation d’expliciter ces enjeux, et seront autant de germes possibles pour les actions futures des médiathèques, en matière d’audiovisuel et de cinéma, en direction des publics

 

______

1. Direction du Livre et de la Lecture - Ministère de la Culture et de la Communication.

2. Le rapport à l’œuvre, l’image comme accès à une forme de réalité ou de création, les différents vocabulaires de l’image, toutes ces questions sont complexes et des réalités multiples sont rassemblées sous le même vocable de «cinéma». On l’utilisera ici pour plus de commodité.

3. Anderson, Chris. La Longue traîne. Montreuil, Village mondial, 2009.

4. Lallement, Michel. L’Âge du faire. Hacking, travail, anarchie. Paris, Seuil, 2015.

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